Les deux jeunes femmes écrivaient pour le tout nouveau journal féministe appelé The Other Woman et lisaient une littérature des plus enthousiasmantes à la librairie nommée Toronto Women’s Bookstore qui venait d’ouvrir ses portes. Elles sentirent alors le besoin de propager au-delà de la Ville-Reine, les nouvelles d’un mouvement de femmes en plein essor.
« J’ignore qui a eu l’idée en premier. Ce que je sais, c’est qu’en lisant le journal, on commençait à réaliser qu’il existait tout un monde à l’extérieur de Toronto, se rappelle Judith Quinlan. Au début, il y avait une vraie effervescence dans les grandes villes, mais les femmes des plus petites municipalités, elles, se trouvaient complètement isolées. Elles expérimentaient tout ce contre quoi nous nous révoltions. Au décès de leur mari, elles ne recevaient pas un sou... Si elles souhaitaient avorter, cela leur était quasiment impossible. Nous avons donc décidé que nous voulions entrer en relation avec les femmes des petites villes et comme la librairie était en train de démarrer, nous avons pensé "eh bien, nous allons amener la librairie dans les petites villes ».
Grâce à une subvention du gouvernement, elles ont pu transformer un vieil autobus scolaire en bibliothèque mobile. Elles avaient installé à l’avant deux banquettes face à face, quelques présentoirs de magazines, des bacs de livres, puis un lit à l’arrière. À bord de ce bibliobus baptisé Cora – un clin d’œil à la suffragette et pionnière E. Cora Hind –, elles ont sillonné les campagnes de l’Ontario et du Québec pendant deux étés. Elles se garaient dans des parcs, des foires, des centres-villes et autres endroits achalandés, puis plaçaient leur écriteau « ouvert » dans une des fenêtres du véhicule. Parfois, personne ne se présentait, se rappelle Judith Quinlan. D’autres fois les femmes venaient en grands nombres, occasionnellement quelques hommes, montant à bord pour bouquiner et discuter.

Dans une photo en noir et blanc datant de cet été-là , Judith Quinlan, les mains sur les hanches dans sa salopette de denim à pattes d’éléphant, se tient en arrière du bibliobus en compagnie d’Ellen Woodsworth et de Boo Watson, une autre jeune militante. Elles ont toutes les trois un large sourire. Sur le flanc du bibliobus, est peint en gros caractères : « Women’s liberation bookmobile ». Une pancarte manuscrite collée sur la vitre arrière indique « Wages for Housework » (Salaires pour les travaux ménagers).
Cette photographie est conservée dans les Archives des femmes de la µþ¾±²ú±ô¾±´Ç³Ù³óè±ç³Ü±ð Morisset de l'Université d'Ottawa, avec de nombreux autres documents qui évoquent l‘histoire du bibliobus, du journal et de la librairie. En effet, vous trouverez dans la collection des Archives des femmes des dossiers qui documentent plus de 350 organisations et initiatives locales, des documents personnels de centaines de Canadiennes et de Canadiens qui ont participé à ce qu'on a appelé la « deuxième vague » du mouvement féministe. La plus grande collection de publications et de bulletins féministes au Canada, comprenant plus de 1 400 titres, complète cet ensemble.

Cette collection éclectique d’une grande richesse a été rassemblée à l’initiative de Pat Leslie, ex-rédactrice en chef du journal The Other Woman. Lorsque cette publication a cessé d'exister à la fin des années 70, Pat Leslie et ses collègues ont décidé de conserver ses numéros et ses dossiers connexes, en tant que documents témoignant de l’essor du mouvement des femmes. Elles ont écrit à d'autres organes de presse et organisations féministes au Canada pour leur demander des exemplaires de leurs publications et de leurs dossiers. &