La main-d’œuvre se composait en majorité de femmes immigrantes, en provenance pour la plupart d’Italie, mais aussi du Portugal, de la Grèce et des Caraïbes.
Plus tard, cet événement sera qualifié de « poudrière ». Il mobilisa alors l’ensemble du mouvement féministe au Canada en soutien aux femmes immigrantes exploitées par l’industrie textile. Mais l’histoire ne s’arrête pas là .
Des recherches dans les Archives canadiennes du mouvement des femmes ont démontré que, sous l’impulsion de groupes de femmes immigrantes, cette grève a marqué un tournant dans le mouvement des femmes de cette époque.
L’historienne féministe Julia Aguiar a démontré que l’ouverture du mouvement féministe vers plus de diversité a résulté, entres autres, des revendications d’organisations telles que le Women Working with Immigrant Women (WWIW) pour de meilleures conditions de travail.
« Le WWIW était un organisme pivot dans le rassemblement des femmes immigrantes », écrit-elle en 2022 dans son mémoire de maîtrise consacré à ce sujet.
Le paysage démographique de l’immigration au Canada s’est transformé après l’adoption en 1967 du système à points. Ce système devait mettre fin aux pratiques arbitraires privilégiant certaines races et nationalités. Ce changement fit alors chuter l’immigration en provenance d’Europe, ouvrant la porte à celle provenant de l’Asie, des Caraïbes, de l’Amérique latine, du Moyen-Orient et de l’Afrique.
Ce nouvel afflux fit germer dans les années 1970 de nombreux organismes au service des néo-Canadiennes à Toronto et ailleurs au pays.
C’est ainsi qu’en 1974, un groupe de femmes travaillant dans divers organismes au service des communautés immigrantes de Toronto fondit le WWIW, un groupe d’encadrement voué à la défense des intérêts des immigrantes. Le groupe tissa des réseaux entre les communautés immigrantes et avec d’autres mouvements progressistes.
A juste titre, les femmes immigrées prirent la direction de l'organisation peu après la création du WWIW. Nombre d'entre elles étaient arrivées au Canada en provenance de pays gouvernés par des régimes autoritaires.
Sachant qu’un grand nombre de leurs semblables travaillaient dans l’industrie du textile à cette époque, le WWIW tendit la main à leurs syndicats. Certaines des grévistes de la Puretex Knitting Company adhérèrent à l’organisme, dont Salomé Loucas.
Cette Chypriote s’était installée à Toronto en 1969, à l’âge de 20 ans, parrainée par son conjoint, arrivé avant elle. Quelques semaines après son installation, elle se fit embaucher comme ouvrière non qualifiée à Puretex, pour 1,10 $ l’heure. Après la naissance de ses deux enfants et sa séparation d’avec leur père, elle dut chercher un emploi mieux rémunéré.
« Je suis devenue coupeuse, et j’ai découvert que les hommes qui faisaient le même travail que moi gagnaient davantage », dit-elle dans une entrevue depuis son domicile à Toronto. « C’est ce qui m’a poussée vers le syndicalisme. Je voulais changer les choses. »
« J’élevais seule avec mes enfants à cette époque [...] et l’épicerie ne coûtait pas moins cher pour les mères célibataires. On avait les mêmes dépenses que les autres, et chaque sou comptait. »
En 1972, les membres du personnel de Puretex votèrent en faveur de leur adhésion au Syndicat canadien des travailleurs du textile et de la chimie. Ce succès était le fruit du travail acharné de Salomé Loucas, en étroite collaboration avec la célèbre féministe et militante syndicale québécoise Madeleine Parent. Cofondatrice du Syndicat, Parent occupait alors le poste de secrétaire-trésorière et était une grande alliée des travailleuses et travailleurs du textile dans leurs nombreux conflits avec le patronat au cours des années 1970 et au début des années 1980.

Une première grève fut menée à Puretex en 1972 pour forcer l’employeur à signer la première convention collective. Le personnel a obtenu une légère hausse des salaires et une réduction de la semaine de travail à 45 heures; l’écart salarial entre les hommes et les femmes a toutefois été maintenu, et les relations de travail se sont envenimées au cours des années qui suivirent.
En 1976, les ouvrières et ouvriers de l’usine dénoncèrent leurs conditions de travail dans les médias et à la Commission ontarienne des droits de la personne.
En effet, pour surveiller les moindres faits et gestes des travailleuses, le propriétaire avait installé neuf caméras en circuit fermé dans les installations, dont l’une était braquée sur la porte des toilettes des femmes. Fait révélateur, les caméras étaient éteintes l’après-midi, durant le quart de travail des hommes, et leurs toilettes n’étaient pas surveillées.
Au printemps de 1977, Madeleine Parent déclarait au micro de la radio de CBC : « C’est indigne pour un être humain d’être constamment épié par des caméras. »
Pour sa défense, Gary Satok, propriétaire de Puretex, affirmait que des membres du personnel le volaient. Cependant, malgré cette surveillance intensive, il n’a pu relever qu’un seul incident sérieux. La personne impliquée avait par ailleurs été congédiée, accusée et reconnue coupable.
« Je dois voir ce que font mes gens toute la journée » a-t-il lancé en entrevue au Globe and Mail pour justifier ses pratiques. « Je n’ai pas de temps à perdre. Comment diable suis-je censé diriger mon usine si je ne peux pas vérifier que tout le monde fait son travail? »

Dans leur lutte pour améliorer leurs conditions de travail et accéder à de meilleurs services, les immigrantes sont devenues de plus en plus politisées et mieux organisées. Des organismes provinciaux et nationaux ont rapidement vu le jour, tels que la Coalition des femmes appartenant à une minorité visible, l’Organisation des femmes immigrantes et des femmes appartenant à une minorité visible de l’Ontario, ainsi que l’Organisation nationale des femmes immigrantes et des femmes appartenant à une minorité visible du Canada. Les membres de WWIW étaient également actives au sein de tous ces groupes.
En 1978, environ 2 000 personnes se sont réunies au Convocation Hall de l’Université de Toronto pour le premier rassemblement de la Journée internationale des femmes au Canada. Sherona Hall, du Comité de défense des mères jamaïcaines, y a pris la parole. Son discours a ému les médias et les organisatrices du rassemblement. L’expulsion injuste de mères jamaïcaines travaillant comme aides ménagères a été mise