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Saison 1, Épisode 1

Gwen Madiba

Bienvenue Ă  uOCourant, un balado sur l’actualitĂ©, axĂ© sur l’avenir et guidĂ© par des experts, produit par l’UniversitĂ© d’Ottawa. Bonjour, je suis Gwen Madiba, animatrice de uOCourant, et une fière double diplĂ´mĂ©e de la FacultĂ© des sciences sociales de l’UniversitĂ© d’Ottawa. Je suis Ă©galement la coprĂ©sidente de la fondation Chances Ă©gales. uOCourant vous met en contact avec des experts de l’UniversitĂ© d’Ottawa pour rĂ©pondre aux plus grandes questions auxquelles la sociĂ©tĂ© actuelle est confrontĂ©e. Comme vous le savez bien, la COVID-19 est un des facteurs de stress les plus graves Ă©prouvĂ©s par notre communautĂ© aujourd’hui. Le risque pour la santĂ© physique est inquiĂ©tant, mais comment serons-nous affectĂ©s par l’impact de l’isolement, des contraintes Ă©conomiques et de la grande incertitude au fil du temps? Pour rĂ©pondre Ă  cette question, j’ai appelĂ© Dre Nafissa Ismail, neuroscientifique, chercheuse et professeure Ă  l’École de psychologie de l’UniversitĂ© d’Ottawa. La docteure Ismail a consacrĂ© sa carrière Ă  l’étude des effets du stress sur le cerveau et comment il peut guĂ©rir. 

Docteure Ismail, depuis le mois de mars, beaucoup d’entre nous ont dĂ» changer notre routine et Ă©prouvent un plus haut niveau de stress. Bien que le choc initial ait pu s’estomper pour certains, pouvez-vous dĂ©crire les effets psychologiques auxquels on peut s’attendre Ă  ce stade de la pandĂ©mie? 

Dre Nafissa Ismail

Oui, la situation actuelle que l’on vit est particulièrement stressante pour tous. Ce n’est pas une situation qui est facile du tout, mais elle est particulièrement Ă©prouvante pour ceux qui souffrent dĂ©jĂ  de maladies psychologiques ou qui ont des troubles liĂ©s Ă  l’abus de substance. C’est une situation qui est vraiment venue changer notre routine, comme vous l’avez mentionnĂ©, notre savoir-faire, notre quotidien a Ă©tĂ© complètement bouleversĂ©, tant avec la pandĂ©mie, mais aussi Ă  cause des mesures de prĂ©caution qui ont Ă©tĂ© mises en place, qui sont bien sĂ»r des mesures qui sont nĂ©cessaires pour venir rĂ©duire la propagation du virus. Mais, on voit qu’avec la combinaison de tout ça, les gens ont vĂ©cu Ă©normĂ©ment de stress. Avec une pĂ©riode stressante comme celle-ci, qui dure pendant une certaine pĂ©riode de temps, on voit que les gens ont plus tendance Ă  dĂ©velopper des symptĂ´mes de dĂ©pression et d’anxiĂ©tĂ©. 

Gwen Madiba

Docteure, pensez-vous qu’il y a une crise de santé mentale associée à cette pandémie ou est-ce que notre santé mentale collective a-t-elle toujours été en mutation?

Nafissa Ismail

Il y a dĂ©finitivement une crise associĂ©e Ă  cette pandĂ©mie. C’est sĂ»r que c’est encore tĂ´t pour qu’on puisse bien Ă©valuer la situation, mais des donnĂ©es dĂ©jĂ  prĂ©liminaires qui sont disponibles, comme par exemple des donnĂ©es qui nous proviennent de Statistique Canada, nous dĂ©montrent que 88 % des Canadiens qui ont rĂ©pondu au sondage disent souffrir de symptĂ´mes liĂ©s Ă  l’anxiĂ©tĂ© depuis le dĂ©but de la pandĂ©mie, et la moitiĂ© des rĂ©pondants au sondage disent dĂ©jĂ  qu’ils sentent que leur santĂ© mentale s’est dĂ©tĂ©riorĂ©e de façon significative. Alors, on voit dĂ©jĂ  une augmentation des troubles psychologiques chez les gens depuis le dĂ©but de la pandĂ©mie.

Gwen Madiba

Alors, depuis quelques mois, on entend parler de nouvelle vague, de deuxième vague. À quoi pouvons-nous nous attendre s’il y a une deuxième vague et quel est l’impact humain si la situation se poursuit?

Nafissa Ismail

C’est sûr qu’avec une deuxième vague, on s’attend à ce qu’on soit de nouveau isolé, que l’on reprenne nos mesures initiales qu’on avait mises en place pour venir vraiment contrôler la propagation du virus. Cette situation est extrêmement difficile pour l’espèce humaine, parce qu’on est des êtres très sociaux et quand on vit dans un environnement isolé, quand on sent que l’on a des contraintes, que l’on n’arrive pas à socialiser au niveau que l’on a besoin, on voit qu’il y a vraiment des effets au niveau de la santé physique, mais aussi de la santé mentale et cela vient aggraver les symptômes que l’on a déjà. Alors, par exemple, on voit qu’avec cette pandémie qui perdure, les gens ressentent un stress chronique, alors ce n’est plus juste une période stressante, mais vraiment un stress qui perdure dans notre quotidien. Avec cela, on voit une augmentation du cortisol dans le corps, mais aussi une augmentation de l’inflammation. Alors avec cela, on s’attend à avoir encore plus de cas de dépression, d’anxiété, mais aussi de stress post-traumatique.

Gwen Madiba

Docteure, pouvez-vous nous dire quels sont les impacts de ce type d’agitation prolongée sur notre cerveau?

Nafissa Ismail

Oui, alors avec le stress prolongĂ©, le stress chronique comme on l’appelle en sciences, on voit qu’il y a une augmentation de cette hormone de stress, le cortisol, et aussi, on a une augmentation de l’inflammation. Cela vient affecter notre santĂ© physique, mais avec cela, on voit aussi un changement au niveau de notre membrane hĂ©mato-encĂ©phalique. Cette membrane, habituellement, va venir protĂ©ger le cerveau de ce qui se passe en pĂ©riphĂ©rie dans le reste du corps. Mais avec le stress chronique, on vient augmenter la permĂ©abilitĂ© de cette membrane hĂ©mato-encĂ©phalique, ce qui fait que les protĂ©ines inflammatoires qui se trouvent dans le corps vont pouvoir pĂ©nĂ©trer et arriver au cerveau, et crĂ©er de la neuro-inflammation dans le cerveau, et cette neuro-inflammation en quelque sorte vient remodeler notre cerveau, elle vient changer la structure et aussi le fonctionnement du cerveau. Alors, c’est sĂ»r que l’on a certaines rĂ©gions qui sont plus vulnĂ©rables Ă  la neuro-inflammation que d’autres; une des rĂ©gions par exemple qui est sensible Ă  cette neuro-inflammation est notre hippocampe, cette rĂ©gion du cerveau qui joue un rĂ´le important dans l’apprentissage et dans la mĂ©moire, et on voit qu’avec la neuro-inflammation suite au stress chronique, l’hippocampe diminue dans le volume, et avec cette diminution-lĂ , on voit des troubles de mĂ©moire chez les personnes, de la difficultĂ© d’apprentissage, et cette diminution du volume de l’hippocampe est aussi associĂ©e Ă  l’augmentation de symptĂ´mes de dĂ©pression. On voit aussi des changements au niveau de l’activitĂ© du cortex prĂ©frontal, une rĂ©gion dans le cerveau qui joue un rĂ´le important dans les dĂ©cisions, les prises de dĂ©cisions, rĂ©soudre des problèmes, la planification, et l’on voit que quand on vit un stress chronique, un stress important, notre cortex prĂ©frontal est moins actif, donc on a de la difficultĂ© Ă  prendre les bonnes dĂ©cisions, on a de la difficultĂ© Ă  rĂ©soudre nos problèmes, on a de la difficultĂ© Ă  se concentrer. Alors, on voit vraiment ces changements au niveau du cerveau. Il y a aussi notre amygdale qui est très sensible Ă  la neuro-inflammation et au stress chronique, et lĂ  aussi, il va y avoir une augmentation de l’activitĂ©, contrairement au cortex prĂ©frontal, et avec une augmentation de l’activitĂ© dans l’amygdale, on voit que l’on a de la difficultĂ© Ă  rĂ©guler nos Ă©motions, et c’est lĂ  qu’on voit plus d’anxiĂ©tĂ© chez les personnes suite au stress chronique. 

Gwen Madiba

Alors, d’un point de vue neurologique, quels sont les moyens de préserver ou de renforcer la résilience, et quelles sont vos meilleures recommandations pour maintenir la santé mentale?

Nafissa Ismail

Alors, la bonne nouvelle est que les recherches animales nous dĂ©montrent que les effets nĂ©fastes du stress chronique sur le cerveau sont rĂ©versibles. Tout dĂ©pend de la durĂ©e d’exposition Ă  ce stress chronique, de l’âge de l’individu, et aussi on voit des diffĂ©rences entre les mâles et les femelles, les hommes et les femmes. Alors, la meilleure façon de pouvoir protĂ©ger notre cerveau, le rendre plus rĂ©silient pendant cette pĂ©riode de stress chronique, est vraiment d’essayer de gĂ©rer notre stress de façon saine, de façon que l’on puisse diminuer le cortisol et l’inflammation qui se trouve dans notre cerveau, et il y a plusieurs moyens que l’on peut prendre pour y arriver – entre autres, on peut essayer de contrĂ´ler mieux notre situation de stress. Des fois, ce n’est pas Ă©vident de contrĂ´ler la situation stressante elle-mĂŞme, mais on peut venir contrĂ´ler un peu les facteurs autour de cette situation stressante, qui peuvent venir diminuer un peu la gravitĂ© de la situation et nous aider Ă  nous sentir un peu plus en contrĂ´le. On peut essayer aussi de s’organiser un peu mieux, parce que souvent, le stress est causĂ© par le fait que l’on a tellement de tâches Ă  accomplir, tellement de choses Ă  faire, mais que le temps est limitĂ© et que l’on n’arrive pas Ă  faire tout ce qu’on a besoin de faire et cela devient une grosse source de stress. Alors, d’essayer de peut-ĂŞtre s’organiser un peu mieux pour pouvoir mieux gĂ©rer notre temps, pour pouvoir mieux accomplir toutes les tâches qu’on a besoin d’accomplir au moment oĂą on a besoin de les accomplir, d’essayer de dormir bien. Le sommeil est très, très important pendant cette pĂ©riode-ci, pendant les pĂ©riodes de stress chronique, et l’on voit que souvent, Ă  cause du stress chronique et le cortisol et l’inflammation qui est Ă©levĂ©e dans notre corps, le sommeil est particulièrement perturbĂ©, alors ça va ĂŞtre important d’essayer de relaxer avant d’aller se coucher, d’essayer de diminuer ce niveau de cortisol qui se trouve dans le corps – l’inflammation – pour qu’on puisse ĂŞtre bien dĂ©tendu avant d’aller au lit et de se coucher. Il faudrait aussi ne pas hĂ©siter Ă  aller chercher de l’aide quand on a besoin d’aide, parce que c’est important de se sentir soutenu. Mieux on est soutenu, mieux on se sent entourĂ©, plus on va ĂŞtre rĂ©silient et mieux on va ĂŞtre capable de gĂ©rer cette situation de stress. Alors, cela aussi va ĂŞtre très important. Aussi, c’est des fois d’être conscient que la situation est stressante parce qu’on la perçoit comme Ă©tant stressante. Et puis, comme c’est une situation souvent que l’on ne peut pas vraiment changer grand-chose, on est dedans et c’est stressant, on peut peut-ĂŞtre essayer de changer notre attitude par rapport Ă  cette situation stressante. On peut peut-ĂŞtre essayer d’y voir un peu de positif; ce n’est pas facile, mais essayez d’y voir du positif, parce que la rĂ©alitĂ© est que c’est une situation temporaire, et peut-ĂŞtre au lieu de la voir comme Ă©tant très stressante, on peut peut-ĂŞtre essayer de voir cela comme une aventure, quelque chose qui est temporaire que l’on va gĂ©rer ensemble et qu’on va passer Ă  travers, et tout va ĂŞtre correct après. Alors, si on arrive Ă  changer notre attitude, on va ĂŞtre moins stressĂ© dans cette situation-lĂ  et on va rĂ©ussir Ă  devenir plus rĂ©silient, protĂ©ger notre santĂ© mentale et protĂ©ger notre cerveau. 

Gwen Madiba

Docteure, tout à l’heure, vous nous invitiez à ne jamais hésiter à aller chercher de l’aide. Au cours des derniers mois, on a vu vraiment un élan de solidarité au sein de notre communauté. Voyez-vous des éléments positifs dans la façon dont notre société perçoit la santé mentale et se soutient mutuellement au cours de cette pandémie?

Nafissa Ismail

Absolument, oui. C’est vraiment chaleureux de voir comment notre sociĂ©tĂ© est venue se rassembler pour vraiment dĂ©montrer que oui, on a une distanciation physique, on est sĂ©parĂ© physiquement, mais on est dedans tous ensemble. Alors, juste le fait, mĂŞme, d’être conscient que la pandĂ©mie a un impact sur la santĂ© mentale, c’est dĂ©jĂ  beaucoup; parce qu’il n’y a pas longtemps, on se trouvait dans une Ă©poque oĂą l’on n’était pas prĂŞt Ă  parler des troubles liĂ©s Ă  la santĂ© mentale, on voulait Ă©viter cela, c’était un sujet tabou, c’était mal vu. Mais aujourd’hui, tout a changĂ©. Aujourd’hui, on est prĂŞt Ă  en parler, on est prĂŞt Ă  aller chercher de l’aide, on est prĂŞt Ă  soutenir les autres autour de nous quand on voit qu’ils ont besoin d’aide et qu’ils sont en train de souffrir ou qu’ils sont en train de vivre une dĂ©tresse, alors ce sont vraiment des changements importants qu’on voit dans notre sociĂ©tĂ© et c’est super, super encourageant. Au niveau des gouvernements fĂ©dĂ©raux et provinciaux aussi, on voit qu’ils ont mis en place plusieurs services pour soutenir bien la santĂ© mentale de notre population durant cette crise importante, et ça aussi, c’est tellement important, parce qu’il n’y a pas longtemps, ces services de santĂ© mentale Ă©taient inaccessibles pour plusieurs. Mais maintenant, les rendre aussi accessibles, les rendre disponibles aux gens qui en ont besoin quand ils en ont besoin – parce que quand ils en ont besoin, c’est tout de suite, ce n’est pas dans deux semaines, ce n’est pas dans un mois –, alors, les rendre disponibles pour qu’ils soient prĂ©sents immĂ©diatement quand les gens en ont besoin, c’est extrĂŞmement important et ça nous avance beaucoup, beaucoup dans la protection de notre santĂ© mentale. Plus on est capable de protĂ©ger notre santĂ© mentale pendant cette pandĂ©mie, plus on va en ressortir fort et prĂŞt Ă  agir, prĂŞt Ă  rebâtir tout ce qui se trouve autour de nous avec une force que l’on va avoir besoin plus tard. 

Gwen Madiba

Docteure Ismail, merci beaucoup. Vous avez partagĂ© Ă©normĂ©ment d’informations importantes avec nous aujourd’hui et je suis certaine que plusieurs personnes vont pouvoir en bĂ©nĂ©ficier, et donc je vous remercie infiniment pour le temps que vous nous avez accordĂ© aujourd’hui. 

Nafissa Ismail

Merci beaucoup de m’avoir reçue.

Gwen Madiba

Merci Ă  notre invitĂ©e, Dre Nafissa Ismail. Vous pouvez suivre les travaux de la Dre Ismail en visitant le laboratoire NISE – NeuroImmunologie, Stress et Endocrinologie – Ă  travers le site Web sciencessociales.uottawa.ca/nise. Si vous ĂŞtes aux prises avec des problèmes de santĂ© mentale, vous disposez d’un certain nombre de ressources : veuillez consulter le site Web de l’Association canadienne pour la santĂ© mentale Ă  l’adresse ottawa.cmha.ca. Et pour un soutien immĂ©diat, contactez la ligne d’écoute tĂ©lĂ©phonique d’Ottawa au 613-722-6914. Pour plus d’informations sur la santĂ© mentale et la rĂ©ponse de l’UniversitĂ© d’Ottawa au COVID, veuillez consulter la description de cet Ă©pisode. 

uOCourant est produit par l’équipe des Relations avec les diplĂ´mĂ©s de l’UniversitĂ© d’Ottawa. Cet Ă©pisode a Ă©tĂ© enregistrĂ© Ă  Pop Up Podcasting Ă  Ottawa, Ontario. L’UniversitĂ© reconnait qu’elle est Ă©rigĂ©e en territoire algonquin non cĂ©dĂ©. Pour en savoir plus Ă  propos de uOCourant, visitez le site uottawa.ca/diplomes.