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Saison 1, Épisode 2

GWEN MADIBA – Bienvenue Ă  uOCourant, un balado audacieux qui traite de sujets d’actualitĂ© en compagnie d’experts, produit par l’équipe des Relations avec les diplĂ´mĂ©s de l’UniversitĂ© d’Ottawa. Bonjour, je suis Gwen Madiba, animatrice de l’émission et fière dĂ©tentrice de deux diplĂ´mes de la FacultĂ© des sciences sociales de l’UniversitĂ© d’Ottawa. Je suis Ă©galement coprĂ©sidente de la fondation Equal Chance. Le but d’uOCourant est de vous faire connaĂ®tre des chercheurs, chercheuses, diplĂ´mĂ©s et diplĂ´mĂ©es Ă  l’avant-garde de leur domaine et d’avoir avec eux des discussions stimulantes sur les dernières tendances.

Depuis l’arrivĂ©e de la COVID-19, le dĂ©veloppement d’un vaccin suscite beaucoup d’attention et d’espoir. Alors qu’on parle partout de deuxième vague, mais aussi de fatigue et de surmenage liĂ©s Ă  la pandĂ©mie, on rĂŞve d’un vaccin qui nous aiderait Ă  sortir de cette situation. Toutefois, les dĂ©fis liĂ©s Ă  la distribution, Ă  l’accès, Ă  la sĂ©curitĂ© et Ă  l’efficacitĂ© d’un Ă©ventuel vaccin nous forcent Ă  modĂ©rer notre enthousiasme : le chemin s’annonce sinueux et parsemĂ© d’embĂ»ches. Pour nous aider Ă  mieux comprendre le sujet de l’immunisation, nous avons invitĂ© le Dr John Bell, professeur Ă  la FacultĂ© de mĂ©decine de l’UniversitĂ© d’Ottawa et scientifique principal Ă  l’Institut de recherche de l’HĂ´pital d’Ottawa. Il s’agit de l’un des plus grands experts mondiaux dans le domaine des virus, de la production de vaccins et de l’immunothĂ©rapie.

Merci de prendre le temps de rĂ©pondre Ă  nos questions, Dr Bell.

DR JOHN BELL – J’en suis très heureux, Gwen.

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GWEN MADIBA – Le fait de savoir qu’un vaccin contre la COVID-19 est en cours de dĂ©veloppement rassure un peu les gens en ces temps incertains. Mais posons tout de suite la question Ă  un million de dollars : de façon rĂ©aliste, quand pouvons-nous espĂ©rer un vaccin, selon vous?

DR JOHN BELL – C’est vraiment la question qui tue, Gwen, mais je vais tenter d’y rĂ©pondre de mon mieux. Comme chacun le sait, la mise au point d’un vaccin prend normalement de 7 Ă  10 ans. Cette durĂ©e s’explique notamment par le fait qu’on doit ĂŞtre très prudent quand on administre quelque chose Ă  des personnes en santĂ©. On ne voudrait surtout pas leur donner quelque chose qui va les rendre malades. Et ce qu’on dĂ©couvre dans nos laboratoires, lĂ  oĂą tous les paramètres sont contrĂ´lĂ©s, peut s’avĂ©rer très diffĂ©rent dans la rĂ©alitĂ©. C’est pourquoi il faut autant de temps avant de lancer un vaccin, qui doit ĂŞtre testĂ© sur un grand nombre de personnes prĂ©sentant des profils diversifiĂ©s (origines ethniques, âge, sexe, etc.). En ce moment, nous tentons d’accĂ©lĂ©rer le processus pour raccourcir le dĂ©lai habituel. Il y a Ă  l’heure actuelle quelque chose comme 200 vaccins potentiels diffĂ©rents qui sont testĂ©s; certains d’entre eux, peut-ĂŞtre mĂŞme seront-ils nombreux, se rĂ©vĂ©leront vraiment efficaces. Nous travaillons donc Ă  trouver des façons de rĂ©aliser les tests plus rapidement pour nous assurer de lancer quelque chose qui marche et qui soit très sĂ©curitaire. Et je crois que nous avons de bonnes chances d’y arriver. Mais pour cela, nous devons faire les choses diffĂ©remment.

GWEN MADIBA – Ă€ quoi peut-on s’attendre d’un Ă©ventuel vaccin en matière de sĂ©curitĂ© et d’efficacitĂ©?

DR JOHN BELL – Hum… c’est une bonne question. Vous savez, il y a des virus pour lesquels on n’arrive pas Ă  faire de vaccin. Prenez l’exemple du VIH, le virus du sida. Nous n’avons pas Ă©tĂ© en mesure de trouver un vaccin pour celui-lĂ ; mais il s’agit d’une tout autre bĂŞte. Ça n’a rien Ă  voir avec ce coronavirus. Nous connaissons bien les coronavirus. Nous savons qu’il ne prĂ©sentent gĂ©nĂ©ralement pas beaucoup de mutations, mĂŞme si celui-ci a dĂ©jĂ  mutĂ© depuis le dĂ©but e la pandĂ©mie. Mais ce n’est pas comparable au VIH, dont les mutations sont très frĂ©quentes, ce qui complique la production d’un vaccin. De plus, la biologie du VIH est complètement diffĂ©rente : le VIH est capable de se cacher Ă  mĂŞme le système immunitaire. Ce n’est pas le cas pour le [corona]virus. C’est pourquoi nous croyons que nous pourrons trouver un vaccin contre ce coronavirus. En fait, plusieurs des vaccins testĂ©s sur les animaux se sont montrĂ©s très, très efficaces. Je crois qu’il y a de fortes chances que nous en dĂ©veloppions un qui soit très efficace. La question de la sĂ©curitĂ© du vaccin est une excellente question. Les essais cliniques qui sont menĂ©s actuellement indiquent que le vaccin sera aussi très sĂ©curitaire. Mais comme je l’ai dit plus tĂ´t, la population humaine est très diversifiĂ©e, vous savez. Vous et moi sommes très diffĂ©rents. Je crois donc qu’il est nĂ©cessaire de tester les vaccins sur un large Ă©ventail de personnes pour comprendre jusqu’à quel point ils sont sĂ©curitaires. Nous pourrions dĂ©couvrir, par exemple, que certains d’entre eux sont sĂ©curitaires chez les personnes âgĂ©es et peu efficaces chez les plus jeunes, et vice versa. Tout ce qui nous reste Ă  faire pour le savoir, c’est de tester les vaccins, mais je suis sĂ»r que nous en trouverons un qui sera sĂ»r et efficace, ou une combinaison de choses qui le rendront sĂ»r et efficace.

GWEN MADIBA – La mise au point de vaccins dans le monde s’est dĂ©roulĂ©e Ă  une vitesse sans prĂ©cĂ©dent. Nous avons Ă©galement constatĂ© les diverses pressions politiques mises pour arriver Ă  cette mise au point. Quelles sont vos inquiĂ©tudes quant Ă  la pression [mise sur les scientifiques] pour dĂ©velopper un vaccin le plus rapidement possible?

DR JOHN BELL – Oui...c’est inquiĂ©tant pour tout le monde, je crois. Je crois aussi que c’est vraiment dommage quand la politique se mĂŞle de science, car ce que nous devons faire, de toute façon, c’est suivre la science. Il faut suivre les indications de la science au fur et Ă  mesure que nous progressons et ne pas essayer de trouver des raccourcis. Je sais que tout le monde, moi compris, voudrait qu’on trouve une solution rapidement, tout le monde veut reprendre sa vie normale, reprendre lĂ  oĂą on l’a laissĂ©e. Mais vous savez, ce n’est pas parce qu’on veut que les choses se produisent qu’elles arrivent. La pensĂ©e magique, ça ne fonctionne pas. Il faut rĂ©aliser l’expĂ©rience – qui est ce qui se fait vraiment au cours des essais cliniques prĂ©liminaires sur des personnes – afin de vraiment comprendre ce qui se passe. Et tout ça ne devrait pas ĂŞtre motivĂ© par des objectifs politiques. Les scientifiques, comme tout le monde, veulent que ça se fasse le plus rapidement possible. Et comme je l’ai dit, il est inutile d’ajouter une couche de pensĂ©e magique et de faire pression pour obtenir des rĂ©sultats plus rapidement. C’est, en fait, ce qui mènerait directement au dĂ©sastre.

GWEN MADIBA – Partout dans le monde, on voit les gouvernements signer des accords avec les sociĂ©tĂ©s pharmaceutiques afin de garantir un approvisionnement en vaccins potentiels. Le Canada ne fait pas exception. Qu’est-ce qui justifie cette approche?

DR JOHN BELL – En fait, c’est une bonne stratĂ©gie. Comme je l’ai mentionnĂ©, nous ne savons pas quel sera le meilleur vaccin ou la meilleure combinaison de vaccins. C’est impossible de la savoir. C’est donc une bonne idĂ©e pour le Canada de miser sur plus d’un vaccin qui a du potentiel. Mais nous n’aurons aucune certitude avant la phase finale des essais cliniques. Et en mĂŞme temps, nous devons nous assurer d’avoir des vaccins pour les Canadiens et les Canadiennes. Donc, si nous ne faisons pas de dĂ©marches maintenant auprès des dĂ©veloppeurs de vaccins, nous risquons de rester en plan. Alors il faut vraiment dire que nous allons payer, parce que si le vaccin semble efficace, nous allons devoir passer notre commande et vacciner la population canadienne le plus vite possible. C’est donc une bonne stratĂ©gie – je pourrais presque dire, stratĂ©gie d’affaires – de contacter plusieurs de ces fabricants et producteurs de vaccins, puisque nous ignorons lequel sera le meilleur. Peut-ĂŞtre qu’il va nous en falloir plus d’un – en fait, nous devrions parier lĂ -dessus Ă  ce moment-ci. Certaines craintes concernant un accès inĂ©gal au vaccin ont aussi Ă©tĂ© soulevĂ©es, vu ce qui est arrivĂ© dans le passĂ©. Sont-elles justifiĂ©es? Oui, et il n’est mĂŞme pas nĂ©cessaire de reculer loin en arrière : dans la dernière annĂ©e, certains pays ont dit vouloir s’approvisionner pour eux-mĂŞmes, quel que soit le vaccin, sans Ă©gard au reste du monde. C’est donc une crainte fondĂ©e. Je pense que le Canada aurait intĂ©rĂŞt Ă  investir dans les infrastructures pour avoir ses propres installations de fabrication de vaccins. Malheureusement, nous ne l’avons pas fait. Mais c’est ce que nous aurions dĂ» faire. IdĂ©alement, il va falloir adopter cette approche Ă  l’avenir, de manière Ă  contrĂ´ler l’accès aux vaccins pour tout le monde. Bref, c’est raisonnable de craindre que la distribution des vaccins ne soit pas Ă©quitable. Comme vous le savez, nous sommes en train d’en concevoir un, et s’il est efficace, nous espĂ©rons vraiment qu’il sera offert Ă  toute la population de la planète, pas seulement Ă  celle du Canada. Or, il nous faudra user de stratĂ©gie pour nous en assurer.

GWEN MADIBA â€“ En avril, votre laboratoire a reçu des subventions octroyĂ©es en partenariat avec la Thistledown Foundation en vue de la mise au point d’un vaccin contre la COVID-19. Pouvez-vous nous expliquer comment vous utilisez vos recherches de pointe sur les virus oncolytiques pour crĂ©er un vaccin contre la COVID-19?

DR JOHN BELL – Oui, bien sĂ»r. Tout d’abord, c’était une excellente nouvelle. Comme vous le savez, cette fondation a Ă©tĂ© mise sur pied par les fondateurs de Shopify, et elle est remarquable. Au dĂ©part, elle s’était donnĂ© comme mission de lutter contre les changements climatiques et d’autres problèmes du genre, mais elle s’est rapidement adaptĂ©e. C’était donc vraiment formidable; nous avons Ă©tĂ© chanceux d’obtenir l’une de ses subventions. Et c’est arrivĂ© extrĂŞmement vite. Nous avons reçu l’argent en l’espace de quelques jours, ce qui n’arrive Ă  peu près jamais dans le monde de la science. Alors ça a Ă©tĂ© extraordinaire. Et c’est quelque chose que les gens d’Ottawa ont fait pour nous. Mais en fait, je crois que nous avons obtenu la subvention parce que nous sommes connus dans le monde pour nos recherches sur les virus oncolytiques. Ces virus fonctionnent notamment en stimulant le système immunitaire du patient pour qu’il reconnaisse le cancer comme un corps Ă©tranger et l’élimine ensuite. Comme nous savions ce que font ces virus, nous avons pensĂ© Ă  miser sur le mĂŞme genre de concept pour crĂ©er un vaccin capable d’attaquer les cellules infectĂ©es par le coronavirus, donc essentiellement un vaccin prophylactique. Nous sommes partis de ce principe pour crĂ©er diffĂ©rents vecteurs. Et nous essayons des combinaisons pour voir lesquelles fonctionnent le mieux.

GWEN MADIBA – Ă€ quelle Ă©tape de la mise Ă  l’essai votre laboratoire en est-il?

DR JOHN BELL – En ce moment, nous en sommes Ă  l'Ă©tape oĂą nous avons quelques vaccins qui prĂ©sentent un potentiel intĂ©ressant, et nous les testons sur des petits animaux. Et dès que nous aurons recueilli suffisamment de donnĂ©es en faveur de l'un ou l'autre de ces vaccins, nous ferons des dĂ©marches auprès de SantĂ© Canada pour savoir si nous avons l'autorisation de tester celui-ci sur des humains.

GWEN MADIBA – Je sais que vous collaborez avec des partenaires et des collègues au sein de la communautĂ© scientifique Ă  l'Ă©chelle nationale et internationale. Le fait que la communautĂ© de chercheurs transcende souvent les frontières, qu'elle soit capable de rĂ©flĂ©chir de manière mondiale est un vĂ©ritable atout. Croyez-vous que la crise actuelle a rendu cette communautĂ© plus solidaire?

DR JOHN BELL – C'est probablement le cas. Je pense que, comme vous l'avez dit, il y avait dĂ©jĂ  une très bonne collaboration. Un des aspects de mon travail que j'apprĂ©cie vraiment, vous savez, c'est d'avoir la chance de travailler avec des gens de partout dans le monde et de me faire des amis partout dans le monde. Nous Ă©changeons des idĂ©es, grâce Ă  l'Internet, qui nous a permis de communiquer de toutes sortes des façons. Nous Ă©changeons des idĂ©es tout le temps, tous les jours. Mais je crois que dans le contexte actuel, les gens collaborent encore plus, et nous communiquons les connaissances, et nous discutons de nos travaux pour nous assurer de ne pas dĂ©doubler le travail, mais plutĂ´t de travailler en synergie avec l'autre ou de bonifier le travail de l'autre. Alors je pense que la communautĂ© scientifique s'est du moins mobilisĂ©e pour tenter de faire avancer les choses plus rapidement. Par exemple, certaines choses que nous utilisons pour nos tests proviennent des Ă©changes que nous avons eus avec des gens de l'UniversitĂ© de Washington, au État-Unis. Nous collaborons avec certaines personnes qui travaillent au National Institute of Allergy and Infectious Diseases. Elles partagent leurs connaissances et certains de leurs agents avec nous, et nous faisons de mĂŞme en retour. Je pense que nous avons une bonne occasion de continuer d'Ă©tendre ce type de collaboration Ă  l'Ă©chelle internationale.

GWEN MADIBA â€“ Docteur, nous assistons Ă©galement Ă  de grands Ă©lans de soutien de la part de la population Ă  l'Ă©gard de la communautĂ© mĂ©dicale. Croyez-vous qu'il est possible que ce type d'appui social se traduise en un soutien accru pour la recherche?

DR JOHN BELL – C'est très certainement notre souhait. Je crois qu'en temps de crise, de pandĂ©mie comme nous vivons en ce moment, nous nous tournons vers les communautĂ©s scientifique et mĂ©dicale et nous leur disons : aidez-nous! Mais comme vous le savez, il serait prĂ©fĂ©rable de prĂ©venir une telle situation en investissant dans la science et la formation bien avant que cela ne se produise. C'est pourquoi je souhaite que la population reconnaisse la valeur de la science et comprenne que celle-ci peut servir Ă  sauver des vies. Et par consĂ©quent, qu'elle soit plus encline Ă  appuyer la science. La science est Ă©galement un moteur Ă©conomique. Les pays qui investissent dans la science s'en sortent mieux sur le plan Ă©conomique. Il y a donc plusieurs bonnes raisons d'appuyer la science, et j'espère que ce sera le cas.

GWEN MADIBA â€“ Merci docteur Bell d'ĂŞtre venu nous rendre visite Ă  uOCourant. Merci de nous avoir offert votre perspective en ce qui a trait Ă  la recherche de vaccins et merci pour le travail que vous faites.

DR JOHN BELL – Avec plaisir, Gwen.

GWEN MADIBA â€“ uOCourant est produit par l'Ă©quipe des Relations avec les diplĂ´mĂ©s de l'UniversitĂ© d'Ottawa. Cet Ă©pisode a Ă©tĂ© enregistrĂ© Ă  Pop-Up Podcasting Ă  Ottawa, en Ontario. Nous rendons hommage au peuple algonquin, gardien traditionnel de cette terre. Nous reconnaissons le lien sacrĂ© de longue date l’unissant Ă  ce territoire, qui demeure non cĂ©dĂ©. Pour obtenir la transcription de cet Ă©pisode en anglais et en français, ou pour en savoir plus sur uOCourant, consultez la description du prĂ©sent Ă©pisode.